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Un avion si peu ravitailleur

mars 12, 2010

Yes he can ... and he did it, too

Pas plus qu’une hirondelle, un avion, fût il ravitailleur, ne fait le printemps. Le marché qui vient d’échapper au consortium formé par Northrop Grumman et EADS n’aurait pas, à lui seul, résolu la crise économique, comme tendrait à nous le faire croire les tonitruantes réactions à cette affaire, émanant de la chorale des professeurs de vertu économique outragée. Si nous doutons, pauvres mécréants que nous sommes, du côté fondamental de l’affront, c’est que nous ne sommes pas doués de la divine capacité d’analyse de nos grands éditorialistes germanopratins. Ceux-ci maîtrisent, comme personne, l’art de poser, d’un air docte, un diagnostic définitif sur l’état du monde, tout comme ils sont capables de proférer tout et son contraire en moins de temps qu’il n’en faut pour se relire.

Seulement voilà, le journaliste omniscient n’existe pas plus que le politicien de conviction. Tout est affaire d’interprétation. En l’occurrence celle de sources de plus en plus uniques. Ce qui est intéressant dans l’affaire des avions ravitailleurs, ce n’est pas ce qu’elle nous apprend sur les Américains et leur conception du libre échange, ni même sur le talent de nos échotiers ou les limites qu’il y a à commenter en boucle une dépêche d’agence. Non, ce qui est passionnant, c’est ce qu’elle nous révèle des intentions de l’avionneur européen et de la façon dont on nous impose la mondialisation et ses conséquences sans qu’aucune « grande conscience » ne s’en émeuve.

Bien sûr, les « méchants Yankees » (pléonasme), se foutent du monde. Notons au passage qu’Obama n’arrange rien à l’affaire. Au contraire, en bon Démocrate, il se méfie des lois du marché le Barack ! Il ne voit aucun inconvénient à faire payer plus cher aux contribuables un avion moins adapté aux missions de l’US Air Force et plus coûteux à exploiter, du moment qu’il est bien américain. Ce protectionnisme ne se limite d’ailleurs pas à la Défense. Le plan de relance de l’idole des bien-pensants, stipule que les grands travaux devront être conduits avec du matériel « country ». Pas question d’employer de l’acier chinois pour reconstruire les infrastructures du pays. Cette position ne manque pas de sel puisque ces mesures sont financées par des emprunts souscrits justement auprès des Chinois, mais bon,  passons.  Que n’aurions nous entendu si ces décisions avaient été mises  en œuvre par Georges W. Bush.

Ce que moins de monde commente, en revanche, c’est la logique qui guide la politique américaine. Ces entorses à la doctrine libérale, ne sont rien d’autre que la mise en application de « la préférence nationale ». Ce qui est, de nos jours et sous nos latitudes, un gros mot réservé à l’usage exclusif du Front National, prévalait il n’y a pas si longtemps (à l’échelle des reniements politique c’était au temps des dinosaures) en Europe. Rappelons nous la campagne sur le traité de Maastricht, quand un Président socialiste nous encourageait à abandonner notre destin national. La Commission européenne, notre gouvernement et tous les eurodolâtres n’avaient que cela à la bouche. L’Union monétaire était sensée favoriser, avec la mise en place effective du marché unique, ce qui s’appelait alors la « préférence communautaire ». On voit le résultat 18 ans et bien des Euros plus tard. On a le marché, la monnaie mais cette fameuse « préférence » on doit sans doute attendre l’arrivée de la Turquie pour la mettre en œuvre. En dehors de quelques mesurettes réglementaires, notre « maison commune » est la plus ouverte aux quatre vents de tous les grands ensembles économiques de la planète.

La raison est simple. Chez nous, l’Olympe bruxellois est ainsi fait, que des « demi-dieux » appliquent l’idée qu’ils se font d’une politique libérale sans rendre de comptes à personne d’autre qu’à leurs pairs.C’est le triomphe de l’autogestion rocardienne en quelque sorte. Les américains ont aussi leurs « suffisants » mais eux, ils votent, peu certes, mais ils votent, ce qui modère les ravages de leurs élites. Les Indiens font sensiblement de même sauf lorsqu’ils simplifient le problème à coup d’explosifs. Quand aux Chinois, pour être à peu près dans la même position que nos eurocrates quant à ce qu’ils ont à redouter du suffrage universel, ils n’en sont pas pour autant à l’abri de révoltes nationalistes qui revêtent, là bas, un caractère aussi cataclysmique que cyclique. Bref partout, sauf chez nous, tout le monde doit plus ou moins composer avec son opinion publique.

En Europe, on a tout compris. On n’a pas de pétrole mais on a des « technos » et un slogan au diapason de leur esprit visionnaire. La mondialisation, c’est la prospérité ! L’argument est martelé et repris à longueur d’édito par les porteurs d’eau et autres obligés des grands capitaines de nos industries exportatrices qui sont aussi, curieusement, les propriétaires de nos grands médias. Pas un analyste cathodique qui ne nous assène que la liberté de commercer accordée par l’Europe au monde entier, sans contrepartie tangible, ne nous ait enrichis depuis que nous la pratiquons sans retenue. Si l’on accorde foi aux statistiques (on ne peut quand même pas douter de tout !) cette assertion est parfaitement exacte. Ce qui ne dispense pas d’en voir les conséquences pratiques.

Cette ouverture sur le monde à un corollaire, celui du démantèlement de notre industrie. L’accroissement de richesse qui en a résulté s’est fait au bénéfice d’un nombre réduit de personnes. En résumé, à mesure de son développement, la mondialisation a concentré ses bienfaits sur un nombre toujours plus restreint d’individus. A la paupérisation des ouvriers dans les dernières années du vingtième siècle, répond aujourd’hui celle des employés et des cadres. Si rien n’est fait pour enrayer ce phénomène, la destruction de cette classe moyenne, sur laquelle repose la stabilité de nos systèmes politiques, conduira au désastre et à la ruine de nos sociétés.

Ce n’est pas en s’en remettant aux totems des prélèvements et de la redistribution que l’on y changera quoi que ce soit. Trop tard, le mal est trop profond. Plus concentrée est la richesse, plus facilement elle se soustrait à l’impôt par le biais de l’évasion fiscale. L’enrichissement des élites est acceptable quand toute la société en profite. Quand il se fait au détriment du peuple qui porte, seul, le poids des délocalisations, il devient révoltant. Puisque la mondialisation échappe à tout contrôle, au lieu d’invoquer sans cesse la régulation bancaire comme la panacée, on serait sans doute mieux inspiré d’envisager le temps des mesures drastiques. Il est indispensable de repenser le ratio capital/travail dans la répartition des bénéfices de l’activité économique. De même nous ne pourrons faire très longtemps l’économie d’une véritable lutte contre le dumping social en instaurant des taxes dissuasives à l’entrée de l’Union.

Revenons en, pour finir, à Airbus. Ce qui est symptomatique dans cette tragicomédie aéronautique, ce n’est pas le protectionnisme américain. C’est l’intervention, jeudi 11 mars  au matin de Louis Gallois, le PDG d’EADS, au micro de Jean Michel Aphatie sur RTL. Sa réaction en dit long sur ce que nous préparent nos princes, dans l’indifférence générale. Ce que regrette notre « grand patron » ce n’est pas tant le marché ainsi perdu que la possibilité de construire une chaine d’assemblage aux Etats Unis et « donc de devenir un avionneur américain ce qui était très important pour nous » (sic !). Les salariés d’Airbus dans toute l’Europe ne l’ont pas encore réalisé, mais le vent du boulet est passé très près. Finalement, il nous a rendu un fier service avec son protectionnisme « à la con » le Barack Obama ! Il a sans doute troqué la proie pour l’ombre mais nous serions bien ingrats de lui en faire grief. Après tout pourquoi serions nous les seuls à devoir élire des dirigeants sans flair politique ? Les Américains en sont très capables aussi, grâce leur en soit rendue !

On nous serine depuis tant d’années que si nous sommes aussi accueillants avec les produits fabriqués en dehors de l’Europe c’est pour que nos avions et nos technologies « high tech. » comme les Mercedes et autres BMW continuent à se vendre. Quel bien cela nous fera si « nos » avions  sont fabriqués par des Chinois, des Américains ou des Indiens. On nous expliquera sans doute que l’essentiel, comme pour Renault dernièrement, c’est que les bureaux d’études soient encore en Europe. Tout est dans le « encore ».

Cela fera « encore » du travail pour nos ingénieurs et « encore » une belle jambe à tous ceux qui ne le sont pas. Nous aurons « encore » le droit de nous taire et « encore » celui d’applaudir le génie et la clairvoyance de nos gouvernants. La mondialisation bénéficiera « encore » aux mêmes, tant que tout cela durera « encore ». Avec « encore » un petit effort, nos élites mondialisées pourront partir en nous abandonnant à notre triste sort après nous avoir ruinés. « Encore » et toujours ce même « drame des délocalisations ».