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CORPORATISME ET PRINTEMPS ARABE

février 19, 2011

 

L’actualité de ces derniers jours ne bruisse que de la colère des juges et de la révolte de la fameuse « rue arabe ». Pas un journal, pas une radio qui n’écrive ou n’émette des jugements définitifs sur l’état du monde ou de la France, à l’aune de ces deux évènements qui pour l’un d’entre eux en tout cas ne passionne guère que nous.

Une caste d’intouchables

Contrairement aux Indes, chez nous, les intouchables tiennent le haut du pavé. Il faut dire que dans l’hexagone, ce n’est pas leur contact qui souille. C’est lorsque par mégarde on en vient à émettre à leur endroit la moindre critique que l’on se trouve immédiatement conduit au ban de la société médiatique. La tragicomédie qui vient de saisir le monde judiciaire à la suite des propos, pour une fois bien anodins, de Nicolas Sarkozy prouve, si besoin en est, que la robe n’induit pas automatiquement la sérénité que l’on attend généralement de ceux qui disent le droit.

Qu’est-ce que la cohorte immense des pleureuses sur commande, reproche donc au chef de l’Etat ? Rien de moins que d’avoir jeté l’opprobre de manière « honteusement démagogique »  sur toute une profession de « justes » qui dédient leur vie à rendre honneur et dignité … aux coupables. Ce sacerdoce mérite d’être loué et non vilipendé par un Président qui « flatte, ce faisant, vilement la frange la plus extrême de son électorat » (je caricature à peine). En effet, en vertu d’une idéologie perverse, qui sévit dans notre petit monde judiciaire depuis 40 ans, le criminel est une victime de la société qu’il convient par compassion et aménagements de peine, d’amener à rédemption. Cette culture de l’excuse sociale pousse à privilégier le bourreau à ses victimes et à faire de la prison, héritage maoïste oblige, un camp de rééducation.

C’est si vrai que nous en sommes rendu, à lire la presse, à considérer qu’un séjour en prison équivaut à « payer sa dette à la société ». Foutaises et billevesées que tout cela ! A de très rares exceptions près, l’incarcération ne ramène aucune brebis égarée dans le droit chemin. La case prison ne provoque pratiquement jamais l’électrochoc salutaire que les grands prêtres du culte de l’excuse attendent comme la pluie dans le désert.

Une société enferme ses loups, avant tout pour se protéger de leurs prédations et non pour en faire des agneaux. D’ailleurs, compte tenu des sommes investies pour les mettre à l’écart, il ne devrait même pas être question de considérer que quiconque ait « payé sa dette à la société » avant d’être sorti de taule. C’est seulement après, en se comportant avec rigueur et honnêteté que le criminel peut envisager de « payer » ce qu’il doit. L’idéologie de l’incarcération-rédemption, très en vogue chez les droits-de-l’hommistes, produit l’effet inverse à celui recherché. La prison devient un purgatoire dont on ressort blanc comme neige (si l’on peut dire). Elle équivaut à un solde de tout compte, un retour à la virginité. Voilà pourquoi nos grandes consciences s’attaquent désormais au casier judiciaire. Cet instrument moyenâgeux attache, selon eux, le criminel à son passé et empêche son évolution vers la lumière.  Il convient donc de supprimer cette abomination, au nom des grands principes communs à tous les « frères » qui n’ont jamais été victimes de rien. C’est vrai qu’après tout, pour en finir avec la récidive, il suffit de supprimer le livre de compte.

Les juges sont avant tout des fonctionnaires

En réalité ce qui se cache sous la révolte des juges, c’est une fois encore le conservatisme viscéral de la France protégée. La fonction publique a une sainte horreur de la nouveauté, car elle est synonyme de changement, donc de travail. Ce réflexe conditionné tient avant tout au statut. L’emploi à vie, supposé garantir l’indépendance de la fonction publique, a finit par accoucher d’un vaste corps qui au lieu de servir le public, se sert de lui. D’où la sempiternelle rengaine sur les moyens dès qu’il s’agit d’expliquer les raisons de ce qu’il faut bien appeler un échec.

J’ai déjà eu l’occasion de développer cette aberration dans un autre papier. Dans notre beau pays de France, le seul critère syndicalo-médiatique qui permette de juger du bien fondé d’une politique, est celui de l’enveloppe budgétaire que l’on y consacre. Ceux qui dénoncent à grands cris « l’approche comptable de ces  salauds de libéraux » ne s’en affranchissent pas pour autant. Seul compte l’argent mis sur la table (des cons, une table, de l’argent = principe comptable). Peu importe dans cette optique le résultat final. Peu importe qu’au bout du compte, plus on dépense d’argent moins les résultats suivent. Non mon fils, tu ne seras jugé que sur ce que tu auras jeté par la fenêtre.

Nous sommes très habitués à cette rhétorique, grâce à nos chers (très chers) enseignants. Ce qu’il y a de bien avec les profs c’est que la pédagogie les poussant à rabâcher, leurs revendications les confinent au comique de répétition. Rien n’est jamais de leur faute, tout est une question de moyens. Grâce à ces « braves » gens, on voit bien que ces fameux moyens n’ont jamais rien résolus puisqu’ils n’y arrivent toujours pas. Le nombre croissant d’illettrés est à l’éducation nationale ce que la récidive est à la justice : un révélateur.  Pourtant, loin de les amener à une juste remise en question, évoquer  la question revient à leur déclarer la guerre.

C’est pas moi, c’est l’autre !

Signe des temps, on invoque dans ces professions la vocation comme les Sénateurs Romains invoquaient la vertu civique au temps de César. Il y a belle lurette que l’on embrasse plus ces carrières par passion. On entre dans l’administration pour mener une carrière « plan plan », pas par amour du service. Bien sûr on se pare des attributs de la grandeur d’âme et du sacrifice pour mieux dissimuler son envie d’en faire le moins possible, pour un maximum de gains. A bien y réfléchir, la principale cause de la guerre entre l’institution judiciaire et la police, c’est que cette dernière est la source du travail de la première. Plus la Police est performante, plus les tribunaux se chargent et plus les magistrats doivent travailler. Une école sans élèves et des tribunaux sans justiciables voilà qui serait assurément de nature à satisfaire les « légitimes revendications des forçats du service public ».

Comme on ne vit pas dans un monde parfait, on s’accommode, on bâcle. On voudrait bien s’intéresser un peu plus à nos dossiers mais, vu le nombre de nos collègues qui sont en arrêt maladie, on n’a pas les moyens de bosser. Alors on râle, on pleurniche et on apitoie le journaliste sur les moyens dérisoires dont dispose la justice.  C’est la faute du système, quand la gauche est au pouvoir, ou à l’ultralibéralisme, quand les « progressistes » sont dans l’opposition. La routine administrative en quelque sorte, seulement de temps en temps, avec cet état d’esprit, il arrive qu’on classe le suivi judiciaire d’un dangereux criminel au seul motif qu’on ne va quand même pas s’emmerder avec un clampin qui n’est recherché QUE pour outrage. C’est d’un banal cette incrimination, il n’y a pas à s’en faire ! Oui mais voilà, quand on ne va pas au fond des choses, quand on ne s’intéresse pas au pédigrée du délinquant, on laisse dans la nature une brute épaisse qui finit par violer et démembrer une pauvre gamine de dix huit ans.

Rien n’est jamais écrit d’avance évidemment ! Mais il y est des réflexes conditionnés qui sont bien utiles pour arriver à ses fins en politique. Le Président Sarkozy voulait faire entrer des  jurés populaires dans les audiences correctionnelles contre l’avis de la corporation des magistrats. Il lui aura suffit d’évoquer des sanctions après la catastrophe judiciaire de Pornic pour que ces derniers se déconsidèrent aux yeux de leurs concitoyens en rejetant d’emblée toute idée de responsabilité.

Hosni pas si mou pour Barack

Passons maintenant à l’autre affaire du moment : « le printemps des peuples arabes ». Notons en premier lieu qu’en Orient, tout est décidément bien compliqué puisque le printemps à lieu en hiver, preuve s’il en est, que ces gens là ne sont décidément pas comme nous. Plus sérieusement, le dernier épisode en date de « balance ton tyran avec l’eau de tes ablutions » nous a réservé de savoureux moments (en attendant les prochains).

Dans la course à l’échalote du Président bien informé à qui on ne la fait pas, Saint Barack  vient de marquer un point décisif. Pressé qu’il était de devancer ses petits camarades de jeux en prononçant quelques paroles forcément définitives sur le devenir de l’Egypte, le Président Américain s’est pris les babouches dans le tapis volant. Il a cru bon, en effet, de précipiter les choses en annonçant avant le principal intéressé, le départ de son encore, à l’époque, homologue Egyptien. Vexé, on le serait à moins, Moubarak lui a alors fait le tour de cochon pendable (façon de parler) de se maintenir en fonction une journée de plus, histoire de le faire passer pour un con.

S’il ne s’était agit que de ça, l’histoire aurait pu en rester là, sans autre forme de conséquences. Malheureusement, il n’en est rien et si tout le monde, surtout en France où l’Obamania bat son plein, est passé à autre chose, il serait pourtant bien utile de se pencher sur les conséquences de cette énorme bourde. Le plan initial élaboré avec difficulté par l’oncle Sam prévoyait le départ du Raïs et la transmission de ses pouvoirs à son Vice-Président, le très israélo-compatible Omar Souleiman. En passant prématurément Moubarak par profits et pertes, le digne successeur de Jimmy Carter a réussit à tout flanquer par terre. Le pouvoir est désormais aux mains du ministre de la Défense, Mohamed Hussein Tantaoui qui préside le Conseil suprême des forces armées, lui même constitué de tout plein de gentils militaires désintéressés.

Quand les journalistes de gauche acclament l’armée

Que va-t-il advenir du plus peuplé des pays arabes ?  Bien malin qui le sait ! Notre société du spectacle ne manque pourtant pas de bateleurs professionnels (on les appelle aussi des journalistes) pour nous abreuver d’analyses toutes plus enthousiastes les unes que les autres. Confondant leurs rêves avec la réalité, tous ces prophètes de la mondialisation heureuse et de l’amour entre les peuples, entonnent en cœur le refrain de la marche inéluctable vers la démocratie. L’arabophilie naturelle de la presse française tourne ces jours ci à l’hystérie.

Ils ne veulent retenir des évènements qui ont emportés Ben Ali et Moubarak que le joyeux soulèvement d’un peuple arabe qui, tel les européens de l’est en 1989, secoue le joug de la dictature pour retrouver les champs dorés de la liberté. Le fait que les tenants de cette gentille fable soient les mêmes que ceux qui n’avaient rien voulu voir d’autre dans la chute du mur de Berlin qu’un tas de gravats, ne choque absolument personne. Entendre Edwy Plenel[1] nous seriner que les islamistes ne viendront pas perturber la fête, au seul motif qu’en 1990, l’Eglise Catholique n’a pas instauré une théocratie en Pologne, devrait normalement conduire les moins sots de ses confrères à l’enduire de goudron avant de le recouvrir de plumes.

Bien au contraire, toute la presse bêle à l’unisson que l’armée égyptienne est l’instrument de la libération de son peuple. Savoureux retournement de situation pour qui s’intéresse un tout petit peu à ces choses. On a connu la presse plus méfiante avec les galonnés. Dès lors que les étoiles sont arabes, les généraux sont démocrates. Dommage que Pinochet n’ait pas été mahométan. Hosni Moubarak n’était pas Président de droit divin. Il gouvernait le pays avec l’assentiment de l’armée dont il était issu. Il était le garant de ses prébendes, aussi surement que la momie d’Alger préserve les intérêts de ses généraux. Croire que le coup d’Etat militaire qui vient de se produire grâce à la bêtise insigne du Président américain va apporter la félicité démocratique c’est aller bien vite en besogne. Il en va du pouvoir comme de la richesse qui l’accompagne, on ne l’abandonne pas sans se battre et dans ce domaine comme dans bien d’autres, les moutons se tondent rarement seuls.

En Orient, les Bisounours sont barbus

Il se peut qu’en fin de compte l’armée organise des élections libres. Après tout il arrive bien aussi, parfois, qu’une chanteuse épouse un président. Il se peut également que les barbus, qui sont la seule force d’opposition constituée, ne soient pas portés au pouvoir par un peuple d’analphabètes à qui on va demander son avis pour la première fois depuis qu’un Pharaon s’est baigné dans le Nil. Qui sait, en quelques mois ils auront peut être tous lu Plenel et, ainsi, pénétrés par tant d’humanisme, les masses égyptiennes auront été convaincus qu’il n’y a pas de fatalité arabe.

Il se peut, aussi, qu’entre temps, les militaires aient organisé leur survie en se trouvant un péril à combattre, une cause à défendre, un ennemi de l’extérieur propre a soulever les passions nationalistes toujours affleurantes en dépit des loukoums journalistiques sur la placidité légendaire des riverains du Nil. Dans cette région du monde d’ordinaire si calme et si paisible, contre qui peut bien se retourner une armée arabe désireuse de faire oublier le mirage démocratique occidental ?

En Egypte, des frères musulmans attendent patiemment leur heure en sachant pertinemment que si les militaires attaquent Israël, la déculottée qui s’en suivra, leur ouvrira les portes du pouvoir, bien plus largement que des élections organisées sous l’égide d’une armée à la puissance et au prestige intact. Quand le barbu s’assoupli le poil, c’est rarement pour porter la Burka (proverbe Afghan).


[1] Sur Europe 1 le samedi 12 février 2011